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Pepa : Une trousse à outils sur l’interprétation législative

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Cet article est rédigé par Justin Toh, avocat spécialisé en droit de l’immigration canadienne.

The English version of this article can be found here.

Décomposons le jugement Pepa, 2025 CSC 21! Ce dernier jugement majeur de la Cour suprême du Canada en droit de l’immigration apporte des précisions utiles sur les principes en matière d’interprétation législative (et sur la manière dont les cours peuvent les appliquer lors de la norme de la décision raisonnable).

La Cour a conclu qu’il n’existe qu’une seule interprétation raisonnable du paragraphe 63(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés : une personne qui arrive au Canada avec un visa de résident permanent valide peut interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration, même si ce visa expire après son arrivée.

[130]  L’objectif visé par la date d’expiration sur le visa, dans le cadre de la séquence de la LIPR, est que le titulaire du visa se rende au Canada et se présente aux fins de contrôle avant cette date. Bien que le titulaire du visa doive se rendre au Canada avant la date d’expiration, les contrôles et enquêtes peuvent dépasser et dépassent habituellement cette date, comme ce fut le cas pour Mme Pepa. Comme la date d’expiration du visa repose uniquement sur la première des dates d’expiration des documents qui le sous‑tendent (le passeport ou les documents médicaux du demandeur), si la date d’expiration du passeport d’un titulaire de visa approche à grands pas, par exemple, le visa pourrait expirer peu après la date d’arrivée au Canada. Seule cette interprétation protège les droits d’appel octroyés aux titulaires de visas de résident permanent et prend en considération les enjeux élevés liés à la perte du droit d’interjeter appel d’une mesure de renvoi.

Les lecteurs attentifs remarqueront que ce paragraphe met l’accent sur deux outils d’interprétation législative. Le premier est la PRÉSOMPTION CONTRE L’ABSURDITÉ. Les décideurs doivent interpréter la loi comme Parlement l’avait prévu. Puisqu’on peut raisonnablement supposer que le Parlement ne vise pas des résultats absurdes, un décideur doit fournir des justifications solides s’il choisit une interprétation qui semble absurde. Mais qu’est-ce qui donne une interprétation de la loi un semblant d’absurdité?

Un moyen de le savoir est d’examiner si l’interprétation rend les droits et privilèges DÉPENDANTS DE FACTEURS ARBITRAIRES. Dans l’affaire Pepa, la Cour a précisé que les délais du traitement peuvent être l’un de ces facteurs arbitraires, particulièrement lorsque cela peut signifier que les droits d’appel sont déterminés avant même qu’il existe une décision à contester.

[21] Un visa de résident permanent est délivré pour une période d’au plus un an, et la date d’expiration est liée à la première des dates d’expiration des documents qui le sous‑tendent : le passeport ou les documents médicaux du demandeur. …

[99] L’approche suivie par la SAI et le résultat auquel elle est arrivée rendent le droit d’appel du titulaire d’un visa tributaire de la rapidité à laquelle une procédure d’interdiction de territoire engagée contre lui après son arrivée progresse dans le système, ce qui pose particulièrement problème pour les titulaires d’un visa qui expire dans un court laps de temps. L’interprétation de la SAI entraîne la possibilité qu’un titulaire de visa perde son droit d’appel avant la prise de la décision — dans le cas de Mme Pepa, avant même le début de l’enquête. Il s’agit de déterminer s’il est raisonnable de tenir pour acquis que c’est ce que le Parlement a voulu. Compte tenu du libellé de la disposition, de son objet et de son historique législatif, le Parlement ne pouvait pas vouloir un résultat qui est à la fois absurde et arbitraire. …

[102] … Le fardeau de la justification consistant à démontrer que le Parlement voulait qu’une personne puisse perdre son droit d’appel en raison de retards dans la mise au rôle ou parce que le délai normal des contrôles complémentaires va au‑delà de la date d’expiration du visa serait fort élevé. …

Le deuxième outil est l’IMPACT HUMAIN. Ce point m’intéresse particulièrement, car il se rapporte directement aux arguments que j’ai présentés pour l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés. La Cour a souligné que lorsqu’il existe plusieurs façons d’interpréter une loi, on doit examiner les conséquences pratiques de chaque option et déterminer si le Parlement les ont voulus. De plus, si certaines options entraînent des conséquences graves – comme la séparation des familles, l’interdiction du Canada, ou des sanctions pénales – le décideur doit justifier non seulement pourquoi l’option choisie reflète l’intention du législateur, mais aussi pourquoi elle la reflète mieux que les autres options.

[117] … Cet élément peut être particulièrement pertinent dans le contexte de l’immigration, qui vise souvent des personnes vulnérables …

[118] Les répercussions sur l’intéressée en l’espèce sont importantes. Madame Pepa sera séparée de sa famille et se verra interdite d’entrer au pays pendant cinq ans. …

[119] Selon l’arrêt Vavilov, le décideur doit expliquer « pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur, malgré les conséquences particulièrement graves pour l’individu concerné » (par. 133 (je souligne)). À mon avis, la SAI n’a pas suffisamment tenu compte des conséquences relativement importantes de la décision sur Mme Pepa. Bien que les enjeux en l’espèce ne soient pas aussi élevés que dans le contexte pénal, les conséquences sont néanmoins sévères. Qui plus est, le fait que la SAI ne se soit pas du tout penchée sur les facteurs clés de l’interprétation législative dans ses motifs montre qu’elle n’a pas expliqué pourquoi sa décision respecte l’intention du Parlement, et encore moins pourquoi elle « reflète le mieux » cette intention. Le Parlement voulait un processus d’appel efficace et l’interprétation de la SAI rend ce processus pratiquement illusoire …

Cependant, la progression la plus importante réside peut-être dans les clarifications quant aux utilisations raisonnables de la JURISPRUDENCE PRÉCÉDENT. Les décideurs doivent se référer aux précédents, mais ils doivent les invoquer de manière logique, cohérente et uniforme – et non aveuglément. La logique du précédent doit être solide elle-même, et elle doit être applicable de manière significative aux faits et lois présents.

[64] … ce n’est pas seulement le fait de citer une cause qui permettra de s’acquitter du fardeau de la justification. Les décisions invoquées doivent elles‑mêmes reposer sur le cadre d’interprétation attendu et doivent être pertinentes, porter sur le sujet en cause et aider à répondre à la question qui se pose. …

[76] … Le fait de se fonder sur une décision non contraignante d’avec laquelle il est clairement possible de faire une distinction, et sur les décisions ultérieures de la SAI qui l’ont suivie sans effectuer elle‑même une analyse plus poussée, ne saurait être raisonnable sans explication du raisonnement qui sous‑tend cette conclusion. …

[79] … ces affaires ont été traitées de façon incohérente, car l’une n’a pas été prise en compte et l’autre a été considérée contraignante. …

[85]   Globalement, la CAF a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que, compte tenu de l’examen de la jurisprudence auquel s’est livrée la SAI, il était raisonnable pour elle de ne pas se livrer à sa propre analyse d’interprétation législative. Bien que l’arrêt Vavilov précise qu’un précédent aura pour effet de circonscrire l’éventail des issues raisonnables, cette précision ne s’applique qu’aux précédents portant sur la question soumise au décideur ou sur une question semblable. Le décideur doit faire plus que quelques renvois à des décisions se fondant sur une disposition différente, ou sur un cadre factuel clairement distinct, pour trancher la question. Bien que l’omission d’effectuer une analyse d’interprétation législative ne soit pas fatale en soi, lorsque la jurisprudence à la disposition du décideur n’est pas assez importante ou contraignante, on ne saurait simplement mettre fin à l’analyse sans avoir fait en sorte que les interprétations divergentes avancées par les parties aient, conformément au principe moderne d’interprétation, dûment été prises en considération.

Parallèlement, les décideurs devraient également consulter d’AUTRES ALINÉAS CONNEXES DE LA MÊME RÉGIME LEGISLATIVE. Ces alinéas, ainsi que les POLITIQUES ET DIRECTIVES OPÉRATIONNELLES qui les mettent en œuvre ou les développent, peut révéler le sens de dispositions ayant une formulation ou un contenu similaire.

[108] D’autres dispositions connexes et des déclarations dans les lignes directrices font état de la pertinence d’entrer au pays avec un visa non expiré et permettent l’octroi du statut de résident permanent même lorsque le visa est expiré. …

[113] Dans l’ensemble, la SAI n’a pas tenu compte de ce contexte malgré la présence de dispositions connexes et de lignes directrices applicables …

Finalement, la Cour a affirmé que les décideurs doivent examiner l’HISTORIQUE LÉGISLATIF. Si le libellé de la loi actuelle diffère de celui de la loi ancienne, ce changement de libellé peut révéler un changement délibéré du Parlement.

[82] … le Parlement aurait pu aussi choisir d’ajouter un moment où le particulier doit être titulaire d’un visa valide pour conserver son droit d’appel. Il ne l’a pas fait. Il a plutôt expressément supprimé le moment précis où le particulier devait être titulaire du visa en cours de validité prévu dans la disposition antérieure, ainsi que l’expression « en cours de validité ». …

Dans l’ensemble, la Cour, dans l’arrêt Pepa, est parti du solide cadre de la norme de contrôle établi dans l’arrêt Vavilov. Lorsque le sens d’une loi est en litige, les décideurs doivent examiner des facteurs globaux, et mener une analyse indépendante qui justifie comment la logique des précédents invoqués correspond aux circonstances du cas individu.

Il est certain que les personnes qui cherchent à changer ou sauver leurs vies apprécieront l’insistance de la Cour suprême sur des décisions qui répondent à ces enjeux. Mais les décideurs administratifs répondront-ils en fournissant des justifications plus approfondies et plus réfléchies dans leurs motifs? Ou, compte tenu des contraintes budgétaires, assisterons-nous plutôt à une augmentation des interventions par le biais du contrôle judiciaire par les cours? Seul l’avenir nous le dira.

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